La vie au quotidien
Madagascar au quotidien est un véritable bouillon de culture. De 5h à 18h et même plus tard, la vie y est colorée, intemporelles.
Art du verbe
« La Parole ne se confie ni à l’herbe qui peut brûler, ni au bois qui peut pourrir, ni à la terre qui est muette et finira par nous ensevelir. Confiée aux héritiers elle est éternelle.” Quel terme pourrait rendre fidèlement la notion de Mpikabary, ces professionnels du verbe à la technique éprouvée mais qui ne sont ni de simples phraseurs, ni des tribuns intéressés, encore moins des amuseurs publics ?Parlons d’éducateurs traditionnels dont l’art consiste à transmettre des valeurs morales en jonglant à l’infini avec l’inestimable richesse de la langue malgache. Si l’Association des Mpikabary est sortie d’une certaine léthargie pour actuellement célébrer ses 40 ans - “toute chose étant comme le haricot longtemps resté à l’état sec mais qui n’attendait que le moment de revivre” - les origines du kabary lui-même remonteraient aux temps anciens où des serviteurs allaient en forêt chercher du miel pour le roi. Quand la récolte s’avérait insuffisante ils la complétaient soi-disant “avec leur cœur”, en réalité avec des mots et tournures bien choisis. Plus tard naquit le “Hain-teny” sorte de joute oratoire dont le principe est de ne jamais dire ce que l’on veut dire.
Lui : “Tu as une pirogue, pourrais-tu me prendre de mon côté de la rivière ?”
Elle : “J’ai une pirogue mais pas de rame. Un roseau serait bien trop fragile, quant à ma bêche on ne défie pas l’eau avec du fer”.
Tout cela pour ce désaveu qui aurait pu être cinglant : Je ne t’aime pas ! Jusqu’à nos temps dits modernes le malgache ne sait toujours pas dire non et se perd en circonvolutions pour exprimer un refus.
Faire un kabary ne consiste pas à discourir pour discourir, le beau ou “Kanto” doit y être omniprésent grâce notamment aux proverbes ou “ohabolana” qui ornent le message. “Celui qui n’a qu’un désir est comme la calebasse qui ne pourra jamais rien espérer que de l’eau” ; “La vérité est comme le feu, ne l’enveloppez pas de peur qu’il vous brûle” ; “ne soyez pas comme la montagne et le brouillard. Quand ils se rencontrent c’est comme pour ne plus se quitter. Quand ils se quittent c’est comme pour ne plus se revoir.”…

Tous les évènements de la vie en société sont obligatoirement ponctués de kabary et sont autant d’occasions pour rappeler ces valeurs ancestrales que sont la sagesse, le respect, la droiture ou la modestie. Si la leçon est bien assimilée une lettre ne devrait donc plus commencer à l’occidental par un “j’ai l’honneur de” mais plutôt par un “c’est en toute humilité que”.
Interrogé justement sur ce qui adviendra “plus tard” de ce volet de la culture malgache face à l’afflux d’influences étrangères, M. Mbola Namana de l’Association des Mpikabary a eu cette réponse : “Je n’aime pas le “plus tard” car il blanchit les cheveux, abaisse la vue et fait trembler les genoux. Mais il m’arrive de l’apprécier car il permet au riz de cuire, aux enfants de devenir grands, aux petits nombres de se multiplier”. Et à beaucoup de rester sur leur faim…